Bernardaud
- Axel & Bois

- 23 sept.
- 4 min de lecture
Cet article repose exclusivement sur les documents disponibles à ce jour : les décisions judiciaires, dont celles de la Cour de cassation, et les articles publiés dans France Info, France 3 Nouvelle-Aquitaine, Le Populaire du Centre, ou encore Challenges. À travers ces sources, nous retraçons une affaire qui mêle signalement anonyme, perquisition spectaculaire, enquêtes sur la fraude et bataille judiciaire. Et surtout, nous posons une question centrale : cette affaire pourrait-elle rebattre les cartes dans un secteur déjà fragilisé par la concurrence et la méfiance croissante des consommateurs ?
🔎 Une perquisition inédite dans la porcelaine de Limoges
Le monde feutré de la porcelaine de Limoges traverse une zone de turbulences. Le 28 mars 2023, l'usine Bernardaud d'Oradour-sur-Glane a été perquisitionnée par les services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), avec l’appui de nombreux policiers venus de Limoges. Selon France Info, des sources syndicales ont bien confirmé qu'il s'agissait d'une perquisition. L’opération s’est déroulée simultanément sur plusieurs sites de l’entreprise, à Limoges, Bordeaux et Paris, mobilisant entre 50 et 70 agents selon Le Populaire et Challenges.
La DGCCRF a sobrement indiqué :
"Des investigations sont en cours dans le secteur de la fabrication de porcelaine pour la suspicion d’infractions au code de la consommation. S’agissant d’investigations de nature pénale, aucun élément supplémentaire ne peut être apporté."
Ce communiqué laisse penser que l’affaire dépasse le seul cas Bernardaud, et qu’elle pourrait concerner tout un pan de la filière porcelainière.
⛪️ Un secteur historiquement surveillé
L'industrie de la porcelaine de Limoges n'en est pas à sa première mise en cause. En 1999, le Conseil de la concurrence (devenu depuis l'Autorité de la concurrence) rendait une décision éclatante : la n°99-D-78 du 15 décembre 1999 — publiée au Bulletin officiel de la DGCCRF.
Les faits reprochés concernaient trois grands noms : Bernardaud, Raynaud et Haviland. Ils étaient accusés de mettre en œuvre des pratiques anticoncurrentielles : clauses restrictives dans les contrats de distribution sélective, fixation de prix de vente, refus de vente à certains distributeurs jugés non conformes aux "standards de luxe".
Les griefs incluaient :
l'exclusion de distributeurs qui pratiquaient des remises,
la réglementation des vitrines, surfaces de vente et localisation des points de vente,
l'obligation de pratiquer les prix conseillés,
des sanctions en cas de non-respect de ces exigences.
La DGCCRF avait réuni de nombreux témoignages (y compris d'huissiers et de concurrent·e·s), qui montraient que les réseaux de distribution étaient verrouillés pour empêcher toute concurrence sur les prix. Le Conseil a infligé une amende de 50 000 F à Bernardaud et 10 000 F à Raynaud, et a exigé la modification des contrats.
🧑🕵️ Un signalement anonyme déclenche l'enquête
D'après les enquêtes de France 3 Nouvelle-Aquitaine, Le Populaire du Centre et Challenges, l'affaire de 2024 démarre par un signalement anonyme, reçu par la DGCCRF, faisant état de faits graves :
Des pièces en porcelaine fabriquées en Asie seraient réintégrées dans le circuit de production Bernardaud, où elles subiraient un simple décor ou une cuisson, puis seraient revendues comme "porcelaine de Limoges".
Ce mode d’opération, s’il est avéré, contreviendrait aux règles de l’indication géographique protégée (IGP) "Limoges", qui impose que la porcelaine soit entièrement fabriquée et décorée dans la région. Ce serait un cas typique de "tromperie sur l'origine".
🧰 Le rôle de la DGCCRF et déroulé de la perquisition
La DGCCRF est un organe du ministère de l'Économie, chargé de veiller au respect de la concurrence, de protéger les consommateur·rice·s et de sanctionner les pratiques commerciales trompeuses. Elle dispose de pouvoirs d’enquête, de contrôle et de sanction.
Dans ce dossier, la perquisition à l'usine d'Oradour-sur-Glane a été menée dans le respect du code de procédure pénale. Plusieurs documents, bases de données, bons de commande et étiquetages auraient été saisis. Le tout encadré par une autorisation judiciaire.
Bernardaud a déposé un recours pour contester la légalité de cette perquisition, arguant notamment que les preuves n'étaient pas suffisantes. Le 22 mai 2024, la cour d'appel a rejeté ce recours et validé l'enquête, jugeant les indices "suffisamment graves et concordants" (source : Cour de cassation).
🚮 La réaction de Bernardaud
Dans un communiqué officiel, l'entreprise conteste toute irrégularité et déclare collaborer pleinement avec les autorités. Elle affirme que ses chaînes de production respectent les exigences de l'IGP "Limoges" et que les pièces concernées relèvent de collections secondaires ou de prototypes.
La direction précise :
"Bernardaud réaffirme son attachement à la tradition et à l'excellence de la porcelaine de Limoges. Nous défendons un savoir-faire artisanal reconnu et sommes transparents sur nos filières d'approvisionnement."
🌺 Quel impact pour la filière porcelaine ?
Ce nouvel épisode jette une ombre sur l'ensemble de la filière, qui repose en grande partie sur la confiance des consommateur·rice·s dans l'origine et la qualité des pièces. Plusieurs artisan·e·s et fabricant·e·s plus modestes expriment leur inquiétude : comment se distinguer dans un marché fragilisé par les scandales ?

Certaines initiatives, comme la coopérative Esprit Porcelaine, mettent en avant une production locale, traçable et collaborative. Des labels plus exigeants, ou une refonte de l'indication géographique "Limoges", pourraient également renforcer la transparence.
🧾 Le "Made in France" sous surveillance : une enquête plus large ?
Cette perquisition s’inscrit dans un contexte plus large de renforcement des contrôles sur les allégations d’origine. La DGCCRF avait déjà mené une enquête nationale en 2021 sur l’usage du label "Made in France" dans les secteurs non-alimentaires. Sur 1 013 établissements contrôlés, environ 15 % présentaient des anomalies. L’enquête s’était conclue par 87 avertissements, 54 injonctions de mise en conformité, 2 procès-verbaux administratifs et 14 procès-verbaux pénaux. Les secteurs concernés allaient de la bijouterie à la lunetterie, en passant par les cosmétiques, le textile ou encore l’ameublement.
Ce dispositif visait à protéger les consommateurs d’allégations trompeuses, mais aussi à défendre les entreprises réellement engagées dans une production française. Il est donc possible que l’affaire Bernardaud s’inscrive dans ce même mouvement de vigilance accrue sur l’authenticité de l’origine française des produits.

📅 Quelle suite pour l’enquête ?
Pour le moment, aucun calendrier officiel n’a été communiqué. Voici ce que l'on sait :
La DGCCRF peut mener des enquêtes sur plusieurs mois, voire années, selon la complexité du dossier (source : économie.gouv.fr).
Une fois l’enquête bouclée, plusieurs issues sont possibles : avertissement, injonction, amende administrative ou transmission au parquet.
Les délais restent inconnus, mais la confirmation judiciaire de la perquisition montre que l'affaire est jugée sérieuse.
Nous suivrons l’avancement de cette enquête et ses conséquences potentielles pour l’ensemble de la filière.








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